Traces de films en Campanie : 1) Le facteur à Procida

Procidafilm

This post about Procida, a small island in the Bay of Naples, is the first of three dedicated to relations between places and cinema written after a trip through Campania.

Ce petit tour sur l’île de Procida, dans la baie de Naples, inaugure une série de trois billets tirés d’un voyage en Campanie, qui décrivent autant de cas différents sur les liens entre lieux et cinéma.

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Après la beauté du paysage, les délicates couleurs pastel des maisons sur le port et l’omniprésence des vélos électriques qui parcourent sans bruit les charmantes ruelles pavées de basalte, ce qui frappe à Procida, la plus discrète et préservée des îles de la baie de Naples, c’est la présence forte du cinéma, qu’elle revendique d’ailleurs en s’autoproclamant Isola del Cinema

Malgré la petite taille de l’île, cette présence est suffisamment forte et variée pour permettre de distinguer et d’analyser différentes formes de matérialisation de la fiction cinématographique, qui sont autant de traces que les films ont laissé dans l’île.

Les films dans l’île

Première forme de matérialisation : le panneau touristique

C’est la plus officielle des matérialisations, celle des panneaux indiquant in situ les lieux de tournage de films ou de séries télévisées sur l’île. Ceux-ci sont nombreux: Graziella (1955), Plein Soleil (1960), L’Île des amours interdites (L’isola de Arturo) (1962), Détenu en attente de jugement (1971), Le talentueux Mr. Ripley (2000), Francesca et Nunziata (2002) …

Chaque lieu de l’île qui apparaît dans un film est dûment répertorié sur ces panneaux métalliques détaillant l’équipe technique et le scénario et illustrant avec des photogrammes la manière dont le lieu a été mis en scène. Ce premier niveau de matérialisation de la fiction, très documentaire et cinéphilique obéit visiblement à un programme officiel de valorisation des lieux par la cinématographie. On trouve d’ailleurs les mêmes panneaux dans plusieurs quartiers de Rome.

Un film l’emporte à la fois par le nombre de panneaux qui lui sont consacrés et par le fait qu’il est mentionné sur tous les autres. Il s’agit du Facteur (Il Postino). Réalisé en 1994 par Michaël Radford, d’après le roman Une ardente patience de Antonio Skármeta, ce film raconte l’amitié entre le poète Pablo Neruda exilé durant les années cinquante dans une île italienne et un postier du cru, qu’il initiera à la poésie pour l’aider à séduire Béatrice, la jeune femme dont il est tombé amoureux.

Au-delà de la localisation de nombreuses scènes, d’autres éléments ont contribué à faire de Procida « l’Isola del Postino », l’île du Facteur, qu’indiquent les panneaux. Le film est imprégné de la présence de l’étonnant Massimo Troisi, acteur et réalisateur napolitain, et donc enfant du pays, qui a contribué à l’adaptation du roman. Sa mort par infarctus le lendemain de la fin du tournage après qu’il avait reporté une chirurgie du cœur pour faire le film a vraisemblablement créé un lien émotionnel local. Le succès italien puis planétaire du film a aussi largement contribué à la notoriété d’une île moins fréquentée par les touristes que ses voisines d’Ichsia et Capri.

Deuxième forme de matérialisation : le photogramme publicitaire

Le lien avec Il Postino s’exprime à Procida par des matérialisations de la fiction d’une deuxième forme, moins formelle et planifiée, plus spontanée. Les propriétaires des établissements utilisés comme décors ne manquent pas d’utiliser ce film au grand succès public pour attirer le chaland.

Ainsi le restaurant du petit port de la Marina de Corricella où ont été tournées les scènes de l’auberge Vino et Cucina s’appelle maintenant La locanda del Postino et mentionne le tournage sur son menu.

Il expose aussi des photos du film dans la salle à manger. Si l’on en croit la photo ci-dessous et si l’on a bien lu ce blog, la vraie serviette en cuir du facteur était même visible il y a quelque temps. Du coup, on se demande si la bicyclette posée sur le mur en dessous de la photographie prise à l’été 2015 est bien là par hasard.

Photos
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Juste à côté sur le quai, un panneau présente un mélange de photogrammes tirés du film et de photos de tournage présentant les acteurs, avec comme légende : le film, les lieux, le mythe, comme pour souligner l’enjeu de ces dispositifs, participer à l’élaboration d’une mythologie dont on ne sait pas si elle concerne le film lui-même ou sa transposition locale. Le bar d’une plage de Procida où fut tournée une des scènes entre Neruda et le facteur ne se contente pas d’exposer les photographies du film pour la promotion des parasols et chaises-longues qu’il loue. Il documente le phénomène au moyen de coupures de presse qui s’en font l’écho, comme pour attester la réalité de l’évènement mais aussi participer à l’élaboration du discours qui seul peut créer et entretenir un mythe. La mention « no foto » sur le panneau tente sans grand succès de modérer une nouvelle validation par le touriste lui-même de ce dont les photos puis les coupures de presse viennent témoigner: Il Postino a bien été tourné ici.

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Des signes témoignent de cette consolidation du mythe, comme l’existence de représentations secondes illustrant la scène originelle. En remontant la via Vittorio Emmanuel à l’heure de la sieste, on remarque un superbe Postino peint sur le rideau de fer baissé d’un magasin.

Bien sûr on pourra souligner le caractère essentiellement mercantile et commercial de cette construction mythologique, qui utilise la présence d’un lieu dans un film comme un argument de publicité. Ces matérialisations n’en sont pas moins le témoignage d’un lien particulier avec le film, qui répond d’ailleurs à la curiosité des visiteurs, nombreux à demander où a été tournée telle ou telle scène du film.

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Troisième forme de matérialisation : le toponyme

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CarteProcida

Il Postino offre un troisième ordre de matérialisation plus accompli, d’ordre toponymique. On en avait un aperçu avec la tentative de renommer Procida l’Isola del Postino, ou le nouveau nom donné au restaurant, mais un changement de toponyme réel a eu lieu en 2010 quand la municipalité a décidé, en même temps qu’elle donnait à une place le nom de Massimo Troisi, de renommer la Spiaggia del Porto Vecchio (la plage du vieux-port) la Spiaggia del Postino. Les références sur Facebook et Instagram intègrent déjà cette nouvelle appellation, tandis que Google Maps affiche en cet été 2015 l’ancien toponyme. Si l’on en croit les coupures de journaux du bar, la décision municipale est venue officialiser une appellation vernaculaire, devenue depuis longtemps courante chez les habitants et les vacanciers. Le changement toponymique se manifeste d’ailleurs par des plaques officielles mais aussi par l’inscription manuscrite sur la carte de l’île distribuée aux touristes par les professionnels.

Sur Internet on découvre que le phénomène n’est pas unique. Il existe en effet en Italie une deuxième plage nommée « del Postino », située elle à Salina, dans les îles éoliennes, où certaines scènes du film ont aussi été tournées. Dans le cas présent, la nature et la vie moderne combinées régleront peut-être l’éventuel conflit de paternité, la plage de Salina semblant menacée de disparaître suite à l’érosion et à la fréquentation des bateaux à moteur.

Le film et l’île

Après cet inventaire des traces du film dans l’île, il faut procéder symétriquement à celui des traces de l’île dans le film. Et là, il faut bien admettre que Procida n’est pas aussi présente qu’annoncé. D’abord, les intérieurs dominent le film (auberge, maison de Mario et de Neruda, bureau de poste …). Les vues de Procida sont fugaces : un carrefour entraperçu au coin de la rue Vittorio Emanuelle, l’intérieur et l’extérieur de la merveilleuse église della Madonna delle Grazie. La plupart des scènes d’extérieur y sont tournées en plan serré ne laissant rien voir du paysage, qu’il s’agisse des barques sur la Marina de Corricella ou des vues de l’auberge. Les grands paysages du film sont en fait ceux de Salina, aux reliefs plus marqués et filmés en plans larges, qu’il s’agisse de la maison de Neruda, de la montagne plongeant dans la mer que le facteur grimpe à bicyclette ou de la plage aux falaises abruptes. L’île du Postino est donc un mélange des deux îles, Procida apportant quelques touches urbaines aux décors naturels montagneux de Salina.

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La fameuse scène dans laquelle Mario rejoint Neruda qui s’apprête à se baigner illustre bien ce collage. Neruda salue Mario aux pieds des falaises à Salina, puis pose sa serviette sur le sable de la plage de Procida, dont le cadrage vers le large ne permet en fait que distinguer les deux pointes, dont l’une est assez abrupte pour être raccord avec la falaise de Salina, dès lors que le cadre ne monte pas trop haut. C’est en effet le propre du cinéma que de créer des espaces qui lui sont propres en réagençant les lieux filmés, selon des critères esthétiques, mais aussi purement logistiques : lumière, accès, arrière-plan visible… L’île du Postino n’est ni Procida, ni Salina mais une troisième île imaginaire, qui absorbe des traits des deux lieux réels pour en faire un hybride dont la réalité est issue du récit cinématographique. Le film n’est pas le portrait d’une île mais d’un homme, Mario, et de son lien à Neruda. L’île n’est qu’un maillon de la chaîne qui les relie, à côté de la politique et de la poésie. Et c’est en enregistrant pour le poète les sons de l’île que Mario continue le dialogue après son départ.

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Procida (et Salina) ne font pas partie du scénario. Skármeta situait son roman dans les années 70 à Isla Negra au Chili, qui n’est pas une île mais une localité où Neruda avait une maison située sur le littoral pacifique au nord de Valparaiso. Dans la réalité Neruda a bien passé quelques mois de son exil dans une île de la baie de Naples en 1952, mais c’était à Capri. Les scénaristes déplacent donc l’intrigue du roman à la fois dans le temps et dans l’espace, du Chili avant et après Allende à l’Italie démocrate-chrétienne des années cinquante. Le film évoque discrètement ce déplacement par le plan où Mario annote une carte du Chili. Le changement de période explique la nécessité de trouver des décors de village et des paysages naturels préservés pour évoquer une Capri d’avant le tourisme, ce que fournissent Procida pour la ville et Salina pour la campagne. L’île imaginaire du Postino flotte entre les temps et les lieux et peut en fait se poser où on le souhaite: Capri 1950, Isla Negra 1973, Procida 1994, Salina 1994.

Conclusion
Procida est un bel exemple de lieu de cinéma. L’île a attiré de nombreux tournages et s’en sert pour sa valorisation touristique. Le lien avec Il Postino est privilégié, même si comme on l’a vu la présence de l’île dans le film reste assez furtive. Les traces laissées par le film, ces matérialisations de la fiction, ne sont pas qu’une simple exploitation touristique ou commerciale. Les photogrammes exposés in situ peuvent se comprendre comme le signe d’un échange entre deux modes d’existence différents. Avoir été immortalisé par une œuvre cinématographique ajoute au lieu une dimension artistique et culturelle, mais aussi sociale, surtout quand le film, comme c’est le cas du Postino, a touché le cœur du public, local comme étranger, et demeure dans sa mémoire. Devenu classique, le film souligne le lieu d’un trait léger d’universalité. En sens inverse, le film, objet immatériel, flux lumineux par nature évanescent, tire de son inscription dans un lieu, même transfiguré,  un niveau de réalité plus concret et tangible, il acquiert une proximité. L’échange est ténu mais réel.

L’échange est aussi d’ordre temporel. Des moments distincts sont mis en correspondance dans ces expositions in situ de scènes de film. Celui, précisément daté, du tournage se manifeste sous une forme documentaire, qu’accompagne des images du film pour témoigner du phénomène de transposition du réel vers le cinématographique qui s’est produit en ce lieu. Les deux objets sont toujours visibles, mais le lieu réel a changé et continue à se transformer tandis que le lieu cinématographique est définitivement figé, même si le regard qu’on porte sur lui change. La Procida de 2015 est ainsi beaucoup plus ripolinée que celle que présente le film en 1994. Le moment du tournage s’éloigne inexorablement dans le passé et bascule dans le mythe mais offre un repère temporel aux visiteurs pour y associer leur temps personnel, fonction de leur visionnage du film. Ceux qui ont vu le film se remémorent les circonstances et les moments de leur vie d’alors. Ceux qui le (re)verront suite à leur séjour dans l’île, répéteront sur un mode imaginaire ce voyage passé.

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PS: Pour conclure ce panorama des matérialisations de la fiction dans une île déjà évoquée par Virgile et Boccace, on ne peut ignorer « la maison de Graziella », nom donné à une maison typique de la fin du XIXè transformée en musée, en hommage à l’héroïne de Procida imaginée par Lamartine dans son roman Grazziella.

Reference/Référence

  • Work Title/Titre de l’oeuvre : Il Postino, le facteur, The Postman
  • Author/Auteur : M. Radford
  • Year/Année : 1994
  • Field/Domaine : Cinema
  • Type :
  • Edition/Production :
  • Language/Langue : it
  • Geographical location/localisation géographique : #Procida #Salina #Capri
  • Remarks/Notes :
  • Flickr Set/Album :
  • Flickr Gallery/Expo :
  • Kind of materialization/Type de matérialisation : panneaux, signs,
  • Object : île
  • Character :
  • Author :
  • Location in work/localisation dans l’œuvre : partout
  • Google Maps :
  • Google StreetView :
  • Panoramio :
  • Geographical location/localisation géographique :
  • Coordinates :
  • Remarks/Notes :

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