A San Francisco, où est la maison… bleue de Maxime Le Forestier ?

In the early 70’s, the young Maxime le Forestier, 21, spent a month in a house of San Francisco, experiencing the life of a hippie community. One or two years later, this stay inspired him to write the song San Francisco: « There is a sky blue house/Built right up against the hill/ They all come on foot/they don’t knock on door/ Those who’re living here/got rid of the key » (1). The song was an immediate success and launched the career of the French singer. 40 years later, he returns to San Francisco to commemorate the newly re-painted house.

Au début des années 70, le jeune Maxime le Forestier, 21 ans, passe un mois à San Francisco dans une communauté où se croisent hippies, déserteurs du Viet-Nam et militants du Peace and Love. Un ou deux ans plus tard, il évoque ce séjour dans une chanson San Francisco : « C’est une maison bleue/adossée à la colline/on y vient à pied/on ne frappe pas/ceux qui vivent là/ont jeté la clé… ». La chanson est un succès immédiat et lance sa carrière en France. 40 ans plus tard, le chanteur revient à San Francisco pour fêter cette maison nouvellement repeinte en bleu.

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English

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Here is a YouTube video of Maxime Le Forestier singing San Francisco. The translation of the lyrics can be found in the comment of Francky78460

Français

La maison d’une chanson

Hymne  de la jeunesse contestataire aux élans communautaires d’après 68 mis ensuite au programme scolaire par tous les profs de musique des collèges de France et de Navarre, San Francisco est devenue un classique de la chanson française, chère au cœur des babas et, après qu’ils auront viré bobos, de leurs enfants et petits enfants.

Longtemps, l’existence réelle de cette maison ne s’est pas posée.  Pourtant certains sont partis à sa trace sur les collines et dans les brumes de San Francisco. Après l’avoir longtemps cherchée, ils furent finalement bien déçus par leur découverte dans le quartier de Castro, tout près du Mission Dolores Park : elle avait été peinte en vert par des propriétaires inconséquents

La preuve de cet outrage est ici (du moins jusqu’àu futur renouvellement des données Streetview par Google) :

Le consulat de France, Universal Music (maison de disque du chanteur) et la société de peinture Ressource ont donc décidé en juin 2011 d’unir leurs efforts pour proposer aux actuels résidents de repeindre la maison en bleu. Le chanteur est venu en personne donner le dernier coup de pinceau et une plaque commémore maintenant dignement la maison et la chanson. La nouvelle a été (un peu) répercutée dans la presse locale californienne et plus largement dans la presse française. Annick Cojean a publié dans Le Monde Magazine une excellente enquête qui dépassant la simple commémoration retrace l’histoire de la communauté hippie qui l’habitait en 1971.

Nous assistons  donc bien à ce qu’on appelle à (e)space & fiction une matérialisation de la fiction, même si elle est en mode mineur. En effet, il existe une maison réelle à l’origine de celle de la chanson. Mais dès lors que celle-ci connaît le succès, cette maison réelle se doit de ne plus s’écarter de l’image qui s’est fixée dans l’imaginaire collectif. Bleue dans la chanson, elle doit rester bleue pour toujours dans la réalité.

Les rêves français de l’Amérique

Au-delà de ses qualités intrinsèques, réelles, on peut s’interroger sur les raisons du succès de San Francisco. D’abord, il faut noter qu’elle s’inscrit dans une série de chansons françaises de l’époque évoquant l’Amérique. Elle vient après La Californie, écrite par E. Roda-Gil et Julien Clerc en 1969 et l’Amérique chantée par Joe Dassin en 1970 (paroles de P. Delanoë sur la musique du tube international de Jeff Christie Yellow River). Chacune des trois évoque une forme française du rêve américain. L’Amérique en propose la version classique et  convenue, celle du départ pour l’Eldorado, le rêve de tout quitter pour l’aventure et l’espoir de richesse mais aussi la liberté : « Mes amis je dois m’en aller/Je n’ai plus qu’à jeter mes clés » : lire les paroles). La Californie exprime dans la veine poétique et lyrique un peu obscure de Roda-Gil (ici pas au mieux de sa forme) une version touristico-hippie du rêve californien, que renforce alors l’aura de Julien Clerc, vedette quelque temps avant de la comédie musicale Hair (voir une vidéo d’époque ainsi que les paroles ).

San Francisco participe aussi de ce rêve français de l’Amérique. Comme La Californie, elle se réfère à  la contre-culture de la Côte-Ouest mais dans une version plus politique et contestataire. Si les paroles de la chanson font référence à l’expériences hippie de la route et de la communauté, elles évoquent allusivement, en écho au risque du grand tremblement de terre, l’éventuel écroulement du système économique et politique sous les coups de boutoir de la contestation: « Elle sera dernière/à rester debout/Si San Francisco s’effondre ».

1972, année de sortie de l’album Mon Frère qui comprend San Francisco, est aussi l’année du Watergate et du retrait des troupes américaines du Viet-Nam. Le Forestier est un chanteur politique, on disait alors « engagé ». Sur l’album Mon Frère, on trouve ainsi  la chanson antimilitariste Le Parachutiste, dont les paroles seront interdites de publication  (source : Wikipédia). Et quand Joan Baez – bouclant la référence californienne – la chante en 1973 au Grand Echiquier, émission phare de la télé française de l’époque, elle la dédie aux objecteurs de conscience en France. Elle défie alors délibérément la loi française qui interdit depuis 1963 toute publicité au statut d’objecteur, interdiction qui durera d’ailleurs jusqu’en 1983 et l’arrivée de la Gauche au pouvoir. 

Mais San Francisco n’est pas un manifeste. C’est surtout une chanson qui mêle subtilement nostalgie et espérance, registre intime et message collectif. Elle n’exalte pas les valeurs de 68. En fait, elle vient juste après, alors que les mouvements des années soixante sont en reflux et que s’ouvre une nouvelle période plus complexe, moins insouciante. La chanson exprime à la fois le regret d’un moment évanoui et l’espoir fragile de retrouvailles possibles: « Où êtes-vous?/ Lizzard et Luc/Psylvia/Attendez-moi… ».  Ce qui explique peut-être son succès à travers les générations c’est cette ambivalence entre le regret et l’espoir, la nostalgie d’un passé et le rêve d’un futur, situés dans un ailleurs idéalisé au nom mythique : San Francisco.

lamaisonbleueDéception

Au final, on se découvre bizarrement un peu déçu de connaître la localisation précise de la maison.  On l’avait dans la tête et on associait à sa couleur ce qu’on voulait. Son bleu pouvait être l’azur d’une société à venir plus belle, plus lumineuse, plus chaleureuse ou le bleu pâli et écaillé d’espérances de jeunesse. Peu importait en fait que cette maison existât pour de vrai. Tous ceux qui aimaient la  chanson la portaient en eux. Elle se trouvait pour certains attachée à ce San Francisco historique et fameux des années 60 et 70,  radical, gauchiste, hippie, alternatif… Pour d’autres, certainement plus nombreux,  elle faisait partie de leur petit San Francisco imaginaire personnel, même s’ils n’avaient jamais mis les pieds sur la côte pacifique. Une fois localisé sur le Net en x,y , épinglé dans Google Maps au 3841 18th Street San Francisco, CA 94114, USA et fraîchement ripoliné, le rêve prend un coup de vieux, il s’étiole et se racornit. L’imaginaire en se réalisant se défait.

Désolé, Maxime, ma maison bleue à moi – celle de ta chanson – ne ressemble pas vraiment à celle-ci. Elle est moins banale, moins bourgeoise, moins rangée. Je la vois plus sauvage,  de bric et de broc, plus isolée sur sa colline. En fait, en y pensant, je me rends compte que je la mélange un peu avec « la très très jolie maison aux deux chats dans la cour » de Crosby, Still, Nash & Young dans Déjà Vu et peut-être un peu aussi avec la maison blanche de la Patricia d’Yves Simon, « toute en satin et en soie ».

Une opération de promotion

Maxime le Forestier repeint sa maison bleue dans Gala

Cette idée de ravalement me paraît d’ailleurs assez loin par l’esprit de ce que représente San Francisco pour beaucoup de gens.  Si j’en crois la dépêche AFP publiée par Libération, Universal Music publierait bientôt un album « La Maison bleue », dans laquelle les artistes « maison » reprendraient tous les titres de l’ album « Mon frère », qui fera pour sa part l’objet d’une réédition « collector » … Les deux  sont déjà annoncés sur un site consacré à la promotion.  C’est amusant d’ailleurs,  la maison dessinée pour la couverture du disque (ci-dessus) ressemble plus à celle que j’imagine. En tout cas, dans cette maison bleue que je m’étais fabriquée, on aurait appelé cette histoire de peinture un « truc de com » et on l’aurait trouvée plutôt dérisoire.

Géolocaliser les contenus des œuvres est à la mode et réinvestir les lieux matériels pour promouvoir ou – en l’espèce – relancer des produits culturels est un truc de marketing en plein développement (Harry Potter, Da Vinci Code …). Mais cela demande un certain doigté et la manière doit être en plein accord avec le « produit ». Ce n’est évidemment pas le cas ici. Envisager la maison bleue comme un produit à promouvoir c’est nier tout ce que la chanson San Francisco représente dans l’imaginaire collectif. Et, pour tout dire, la maison détonne un peu dans un magasine comme Gala.

On sent bien dans l’interview de la fameuse Psylvia que celle-ci n’est pas vraiment convaincue de la nécessité de l’opération : « Pour moi la maison bleue c’est un état d’esprit, c’est un sentiment. Mais je comprends qu’il est parfois important d’avoir une représentation concrète de cela et un endroit où l’on peut se recueillir. Parfois cela suffit à raviver ce sentiment dans votre cœur et dans votre âme. Mais si les français souhaitaient cela et si les propriétaires de la maison étaient d’accord, au nom de quoi les contredirais-je ? ». Même le chanteur semble dubitatif, comme si on lui avait un peu forcé la main : « Vous savez une maison, sans les gens qui habitent dedans, ce ne sont que des murs. »

Sans rancune, Maxime, tu as écrit de belles chansons et certaines auront fait partie de ma vie, même si cela fait très longtemps que je ne prends que de loin en loin de tes nouvelles. Ce n’est pas bien grave, au fond. Je ne pense pas acheter le disque d’hommage. Je ne le téléchargerai pas non plus, que le site soit légal ou non. Et si je retourne un jour à San Francisco, je n’irai pas au 3841 18th Street. Je pense que tu aurais dû laisser la maison bleue où elle était : « accrochée à ta mémoire » et aussi dans l’imagination de ceux qui aiment San Francisco, la ville comme la chanson. Là, ta maison est perpétuellement bleue et sera peut-être aussi « dernière/à rester debout. »

(1) Translation taken from the comment of Francky78460 on this YouTube video.

Reference/Référence

  • Work Title/Titre de l’œuvre: San Francisco
  • Author/Auteur : Maxime Le Forestier
  • Year/Année : 1972
  • Field/Domaine : Music/Musique
  • Type : Song/Chanson
  • Edition/Production : Polydor
  • Language/Langue : Fr
  • Geographical location/localisation géographique: #3841 18th Street San Francisco, CA 94114, USA
  • Kind of materialization/Type de matérialisation :
  • Object : House
  • Character :
  • Author :
  • Location in work/localisation dans l’œuvre :
  • Google Maps :
  • Google StreetView
  • Panoramio :
  • Geographical location/localisation géographique : 3841 18th Street San Francisco, CA 94114, USA
  • Coordinates : 37.76112, -122.42933
  • Remarks/Notes :

12 réflexions sur “A San Francisco, où est la maison… bleue de Maxime Le Forestier ?

  1. Pingback: Tantôt enlacés … | Pater Taciturnus

  2. Très joli article !

    Mais quelle malédiction, ce Streetview, qui va nous présenter sous toutes les coutures l’ensemble des lieux évoqués dans les chansons, romans, etc.

    Dommage. Ce que la chanson m’en disait me suffisait.

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  3. c’est une chanson qui a bercé mon adolescence , j’ai le bonheur de visiter SanFrancisco cette année , et je me suis fait la promesse de voir cette maison bleue !!! un rêve qui va devenir realité !!

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  4. j’aime cette chanson qui evoque en effet une façon de vivre avec les autres, je ne crois pas que j’aimerai aller voir la maison bleue… elle reste un message, un reve.
    J’ai beaucoup d’admiration pour Maxime Le forestier, j’ai acheté le disque de la maison bleue et pour moi il n’ya a pas lieu a commenter si oui ou non il fallait ou il ne fallait pas repeindre

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  5. Les enfants n’apprécient pas la concrétisation des rêves car l’idéalisation est absolue. Les adultes apprennent à vivre dans le vrai en gardant leurs rêves derrière leurs paupières.
    Un pèlerinage ! pourquoi pas ! même si les poubelles à tri sélectifs sont sorties ce jour-là. Il suffit d’avoir la petite musique dans la tête et de se dire que c’était au siècle d’avant.
    Rêvons et laissons rêver !

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  6. Je ne vois pas pourquoi le réel devrait chasser le rêve.Cette maison a eu une existence à un moment de la vie de Maxime et elle a changé comme nous,comme toute chose et le fait de la voir telle qu’elle est aujourd’hui ne me choque pas et je n’éprouve pas le besoin de disserter des pages sur le sujet.

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  7. Pingback: Le Café des Délices – Bruel « (e)space & fiction

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